Petite histoire des emballages de jeux video en France

Aujourd’hui, Bob fait honneur à son grand âge et vous propose un petit billet retro (et nostalgeek ?) au sujet des emballages de jeux vidéo en France. Sujet à la con dites-vous ? Détrompez-vous ! Car si l’emballage de produits de consommation de masse n’intéresse a priori que les logisticiens et autres industriels, le sujet est assez intéressant lorsqu’on le limite à la sphère vidéoludique française, car il témoigne d’une époque révolue : celle de l’exception française dans la distribution des jeux vidéo.

Sujet : Qu’est-ce qu’un emballage ? (45 min)

Comme tout bon lycéen, je vais commencer par définir mon sujet. L’emballage, kézaco ? D’un point de vue industriel, il s’agit d’une problématique importante en terme de coût et de logistique, qui doit nécessairement faire partie de la réflexion relative à la commercialisation d’un produit. Dans le cas précis qui nous intéresse aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur l’emballage dit « secondaire » : celui qui « n’est pas en contact direct avec la marchandise. Son rôle est d’envelopper le packaging primaire, par exemple pour former des lots. Il peut s’agir, par exemple, d’un film d’emballage industriel. Il facilite le transport, mais peut aussi être présenté directement en rayon, selon les cas. » (voir lien ci-avant). Dans le cas des produits culturels, catégorie à laquelle appartient le jeu vidéo, cet emballage secondaire est le plus souvent un emballage plastique; les collectionneurs parlent souvent, et à tort, de « blister ». Il s’agit là d’un abus de langage récurrent, car si tous les blisters sont des emballages plastiques, tous les emballages plastiques ne sont pas des blisters.

Si je vous parle des collectionneurs, c’est parce que la question de l’emballage est omniprésente dans les discussions relatives à la collection et à la valorisation des jeux vidéo. A commencer par l’emballage dit « primaire » ( « il est en contact direct avec le produit. Il s’agit généralement du packaging visible en rayon des magasins. Il peut s’agir d’une boîte, d’un pot, d’une bouteille. Les différents matériaux utilisés sont le carton, le plastique, l’aluminium. » – même lien supra) : un jeu disposant de sa boîte d’origine – idéalement avec la notice et la documentation qui l’accompagnent éventuellement – sera dit « CIB » (Complete In Box) et aura plus de valeur qu’un jeu dit « en loose », soit sans sa boîte. Si depuis 25 ans environ, les joueurs conservent les boîtes car elles sont nécessaires à la protection du support physique du jeu (du CD-Rom Playstation au Blu-ray Ultra HD de la Xbox Series X en passant par le GD-Rom de Sega et les différents disques optiques de Nintendo), ce n’était pas le cas à l’époque des cartouches de jeu, qui se conservaient très bien sans leur boîte, souvent jetée à l’ouverture comme un carton de céréales ou de yaourts. Ces boîtes de jeu ont donc rarement traversé le temps jusqu’à nous, et – ce qui est rare étant cher – ont de la valeur pour les collectionneurs. Mais si la conservation de l’emballage primaire peut se concevoir même dans le cas d’une cartouche, il paraît plus étrange de conserver l’emballage secondaire, soit en ce qui nous concerne le fameux blister, objet de bien des spéculations depuis quelques années.

Digression : Mon (très) cher blister

Vous pouvez sauter cet encadré si la collection de jeux vidéo ne vous intéresse pas, car le vieux Bob s’écarte légèrement du sujet promis par le titre !

[36 15 code Vieux Con on] Il y a une vingtaine d’années, alors qu’eBay et PayPal prenaient tranquillement leurs envols, il n’y avait pas vraiment de « marché » de la collection vidéoludique : les échanges se faisaient dans l’esprit qui anime le marché de l’occasion, à savoir acheter à bas prix un objet déjà utilisé. On achetait sur eBay les jeux qui ne se trouvaient plus dans les bacs de jeux d’occasion de Micromania ou Score Games, ou encore sur les vide-greniers l’été, pour y jouer. La présence de la boîte avait finalement peu d’importance; cela indiquait tout au plus que le précédent propriétaire était soigneux et laissait à penser que le jeu fonctionnerait sans difficulté. L’emballage n’avait dans ces conditions que peu d’impact sur le prix. C’était le bon vieux temps… [36 15 code Vieux Con off]. Aujourd’hui tout a changé. Un de mes premiers achats sur eBay au début des années 2000 fut Super Mario Kart sur SNES, un jeu qui m’avait échappé étant plus jeune mais sur lequel j’avais passé des après-midi entières de pur fun chez un ami : je l’ai acheté CIB une quinzaine d’euros. Sur le site pricecharting.com, ce jeu dans sa version PAL est côté 25€ en loose, 50€ en CIB, 100€ non-ouvert et 1000€ dans son blister ! Le même jeu que celui acheté 15€ il y a quelques années, auquel vous pouvez vous adonner pour 0€ avec tout émulateur qui se respecte… Car si vous devez vous rappeler une chose en ce qui concerne la collection de jeux vidéo, c’est que l’intégralité des catalogues de toutes les machines est accessible par l’émulation. Vous pouvez donc jouer à tout ces anciens jeux, sans vous ruiner. La question légale peut se poser, mais, franchement, nous parlons là de jeux qui ont 30 ou 40 ans, largement amortis depuis le temps, et qui ne sont plus vendus par leurs ayant-droits.

Interlude : la valorisation (artificielle ?) d’un jeu par la pratique

Asterix SNES PAL en loose
Asterix SNES PAL sans notice
Asterix SNES PAL CIB
Asterix SNES PAL en blister

Cette dernière remarque est importante : les seuls à bénéficier de l’augmentation du prix des jeux vidéo d’occasion (même avec l’étiquette « collection ») sont les spéculateurs. Et pour spéculer, il faut créer la rareté : comme de vulgaires scalpers, certains « collectionneurs » définissent de nouveaux critères pour augmenter artificiellement la valorisation du marché de la collection : avec ou sans boîte, fullset, différences de régions… L’idée générale est de faire monter le prix de produits de consommation de masse dont la production a pris fin. Car – et on touche ici a un point intéressant qui mériterait un article à lui seul – le jeu vidéo est un produit industriel de masse, et l’a toujours été dans l’esprit des éditeurs. Si je peux à la rigueur comprendre d’un tableau de maître, unique et réalisé par le peintre lui-même, soit valorisé bien au-delà de sa valeur commerciale initiale (et encore…), cela me paraît plus compliqué pour un produit dont il n’existe pas d’original mais uniquement une multitude de copies. Mais je m’éloigne du sujet du jour : nous traiterons du blanchiment d’argent des arnaques dans le domaine de l’art un autre jour !

Dans cette logique de valorisation artificielle, le blister est venu à point nommé : sa présence empêche l’accès au jeu et donc l’utilisation du produit acheté. Il est donc naturel que cet emballage de mise en rayon soit retiré et jeté comme détritus, même par le ludophile le plus soigneux qui soit. Prenons l’exemple du vieux Bob, qui a toujours conservé et protégé ses jeux avec un soin maniaque : je n’ai conservé aucun blister – ni emballage souple – de mes jeux, puisque je les ai acheté pour jouer. Je me souviens même – lorsque je me faisais offrir mes premiers jeux NES et SNES en boutique spécialisée il y a bien longtemps – que le vendeur découpait le blister au cutter pour ouvrir la boîte et… remplir le bon de garantie situé à l’intérieur (à l’époque, si ma mémoire ne me fait pas défaut, les jeux défectueux étaient retournés au vendeur qui gérait ensuite avec Nintendo : la boîte contenait par conséquent une carte de garantie que le vendeur tamponnait). Les blisters n’atteignaient donc même pas la maison ! Ils étaient à l’époque l’équivalent des boîtes antivol ouvertes en caisse. Conséquence logique : ils sont encore plus rares que les boîtes, puisqu’ils proviennent nécessairement de stocks invendus, dans une industrie qui a pris l’habitude de détruire ses invendus pour éviter la revente à prix cassés. Le monde des collectionneurs de jeux vidéo est tellement tordu qu’on en arrive avec des aberrations comme un blister vide (et donc ouvert) valorisé 100€ !

La spéculation autour des blisters a probablement débuté il y a une quinzaine d’années, lorsque des joueurs que j’appellerai de « seconde génération » (ceux ayant grandi avec la Playstation) se sont trouvés en âge de participer au marché des vieux jeux vidéo : c’est le passage d’un marché d’occasion dans lequel on achetait des jeux à un marché de collection dans lequel on achète des pièces. Et cela change tout. Pour les vieux ludophiles, un jeu NES ou SNES n’est pas une pièce de musée. Pour un branleur né dans la seconde moitié des années 90, si. Et les vieux comme Bob bon à mettre à l’EHPAD ! Quelqu’un qui a découvert les jeux vidéo avec Tekken, Tomb Raider ou Metal Gear aura du mal à apprécier les reliques de l’ère 8/16 bits : s’il acquiert une vieillerie de cette époque, c’est donc dans un esprit de collectionneur, logiquement avec une visée patrimoniale. Lorsque ce type de profil se multiplie sur le marché, l’augmentation des prix est inévitables, ce qui entraîne spéculation et contrefaçons.

Un exemple concret ? Sur un forum spécialisé, je suis tombé sur une discussion dans laquelle un collectionneurs dénonçait – en 2019 – la spéculation autour d’un exemplaire sous blister de Home Alone 2 sur NES, acheté puis immédiatement remis en vente a un prix supérieur :

Ca m’a fait rire (jaune) car je suis tombé cette semaine sur une annonce eBay pour Home Alone 2 NES sous blister (il s’agit peut-être même du même exemplaire !), vendu 4 fois plus cher… Je précise tout de même pour les plus jeunes que Home Alone 2 sur NES, c’est de la grosse daube !

Le jeu vidéo est-il un objet de collection ? Pas à mon sens. Je possède plus de 500 jeux, de l’Atari 2600 aux consoles actuelles, tous en bon état, la grande majorité en boîte avec notice, aucun sous blister. Ce n’est pas une collection : c’est le résultat de dizaines d’années de passion pour le jeu vidéo : j’ai joué à tous les jeux que je possède – et fini la majorité d’entre eux – et je les conserve pour leur valeur affective et nostalgique, non pour leur valeur économique. Et aussi par intérêt historique et culturel. Si le jeu vidéo doit finir dans un musée, ce doit être dans un musée d’histoire et non d’art. Et si j’ai décidé de parler aujourd’hui des emballages des jeux vidéo en France, c’est sous un angle historique et nostalgeek, non par collectionnite.

Les années 80 : la vente au détail

En m’intéressant au sujet du jour, il m’est assez vite apparu que l’emballage d’un jeu vidéo est directement lié à son mode de commercialisation. Car si l’emballage primaire (la boîte qui contient le support de jeu) sert à présenter le jeu et à convaincre un acheteur potentiel de dépenser ses eurodollars durement acquis – et ce à grands renforts d’illustrations tape-à-l’oeil et de descriptions plus ou moins honnêtes – l’emballage secondaire qui nous intéresse aujourd’hui sert essentiellement à protéger le produit tout au long de la chaîne logistique. La question est alors de savoir ou se termine la chaîne logistique – vendeur au détail ou consommateur – et quels sont les risques encourus – détérioration ou vol.

Au commencement était le film plastique

Malgré mon âge avancé, je n’ai pas vraiment connu l’époque antérieure à la NES, et je ne me souviens pas avoir vu des jeux Atari ou Colecovision en rayon. Et pour cause, à l’époque des deux premières générations de consoles, les jeux vidéo ne sont pas encore les biens de consommation de masse qu’ils deviendront. Ils sont pour l’essentiel vendus en magasins spécialisés (informatique, hi-fi et jouets), à une époque ou la grande distribution n’est pas encore aussi développée qu’aujourd’hui.

Les jeux sont donc essentiellement présentés dans des vitrines et manipulés par les commerçants uniquement, qui ne rechignent pas la plupart du temps à les faire essayer aux clients potentiels. Les boîtes ne risquent donc pas d’être dégradées en étant manipulées par des milliers de mains plus ou moins propres, ni d’être volées, mais les supports de jeu doivent être facilement accessibles pour les commerçants. Je pensais donc que les boîtes n’avaient strictement aucun emballage, mais quelques recherches m’ont fait découvrir que les boîtes étaient initialement emballées dans un film plastique simple, qui disparaissait probablement assez vite.

Jeu Vectrex sous plastique souple
Jeu Colecovision sous plastique souple
Jeu Atari 2600 sous plastique souple
Cassette Amstrad CPC sous plastique souple

L’emballage en plastique souple est classique pour tous les produits culturels, même aujourd’hui : CD, DVD, livres… Il s’agit de quelque chose de parfaitement classique, qui n’est spécifique ni à la France, ni au microcosme vidéoludique. Mais en 1983 se produit le grand krach du jeu vidéo, qui annonce près de quinze ans de règne de Nintendo sur le marché du jeu vidéo. Et le japonais, soucieux de ne pas reproduire les erreurs de ses prédécesseurs, va transformer – notamment en France – la distribution des jeux vidéo.

Nintendo, Stock Services et les blisters

Attention : ce qui va suivre est l’exception culturelle française, et ne s’applique pas aux autres pays, dont l’évolution a été différente.

Plusieurs éléments d’historique sont issus de l’histoire de Nintendo vol.3 de Florent Gorges, que je vous invite à lire !

Lorsque Nintendo, dirigée à l’époque par le légendaire Hiroshi Yamauchi, décide de tenter sa chance sur le marché des jeux vidéo consoles, plus personne ne croit réellement à ce marché. Mais Yamauchi a bien observé et analysé les raisons du krach de 1983, qui se résume ainsi dans son esprit : l’anarchie dans la distribution des jeux a entraîné une baisse de qualité globale et un désintérêt des consommateurs. Yamauchi décide donc dès le début de garder un contrôle très fort sur la distribution de la NES et de ces jeux.

Set ASD de jeux NES

Conséquence directe : les distributeurs devront montrer patte blanche pour avoir le droit de distribuer la NES. En France, une petite société, ASD pour Audio Sound Distribution, réussi à obtenir l’exclusivité de la distribution de la NES en France (au prix d’un contrat assez rude qui lui impose notamment le catalogue). ASD s’inscrit cependant dans une logique à l’ancienne, s’appuyant sur un réseau de distributeurs spécialisés (FNAC, Darty, Boulanger, etc). Je n’ai pas trouvé de jeu ASD encore sous emballage secondaire – les jeux ASD sont déjà suffisamment rares en emballage primaire, ou même sans emballage – mais tout laisse à penser que les boîtes étaient protégées par du plastique souple.

Le marché évolue cependant très vite : l’Europe qui était jusqu’ici un marché négligeable et négligé par Nintendo devient économiquement viable, d’autant plus que l’ennemi SEGA y remporte ses premières victoires. Big N décide donc de passer la seconde, et se tourne vers un compatriote bien implanté en Europe, le distributeur de jouets Bandai. Bandai reprend l’équipe d’ASD, la société elle-même étant en difficulté financière pour des raisons étrangères à la NES, conservant ainsi le réseau des magasins spécialisés, et met à profit ses contacts dans le monde de la grande distribution pour pousser la NES. Pour ce faire, Bandai fait appel aux services d’une société de logistique de région parisienne, Stock Services, qui va avoir un impact historique sur la distribution de jeux vidéo en France, en étant à l’origine du blister rigide.

Car qui dit vente en grande distribution dit présentation des jeux en libre-service : le risque de voir les cartouches NES disparaître des boîtes est trop important pour ne pas modifier leur emballage secondaire, qui ne vise dès lors plus tant à protéger le produit des aléas du transport qu’à prévenir le vol. Bandai demande donc à Stock Services de protéger les boîtes de jeu NES : la société décide d’utiliser des blisters rigides et fait pour cela l’acquisition de machines de thermoformage. Tous les blisters Nintendo de notre enfance ont donc été réalisés par un logisticien de région parisienne, et ne sont donc absolument pas des « produits Nintendo » (ce qui laisse songeur quant à leur valeur pour un collectionneur…). Quoiqu’il en soit, l’Histoire – d’une spécificité française dans une sous-culture occidentale – est en marche.

Le blister rigide de Stock Services comprend un support en carton sur lequel l’inscription « Nintendo » est clairement visible, avec une ouverture au verso permettant de lire les informations situées au dos de la boîte. Notez également la présence d’une encoche pour la suspension en rayon (pegboard en jargon technique). Cette encoche n’est pas anodine : elle est directement liée au fameuses vitrines Nintendo disposées en grandes surfaces et devant lesquelles une génération de ludophile a rêvé… Même si la spéculation dont ils font l’objet est scandaleuse, il faut bien avouer qu’avoir un de ces blisters entre les mains rappelle de doux souvenirs à tout enfant de la génération Club Do’ !

Les « fameuses vitrines Nintendo » ai-je écris ? Il s’agit des vitrines « World of Nintendo » qui se trouvaient au centre de la stratégie commerciale de Bandai : vendues chargées de 400 cartouches (la vitrine étant en pratique offerte avec la commande de cartouche), les vitrines rouges au logo reconnaissable servaient à la fois de publicité sur le lieu de vente pour Nintendo que d’item remarquable pour le vendeur. Très prisées des collectionneurs, ces vitrines demeurent symboliques de la guerre Nintendo-SEGA des années 90 !

Les années 90 : l’ère du blister rigide

Si la victoire de Nintendo sur SEGA est indiscutable au Japon et en Amérique du Nord, le match est plus disputé en Europe, ou les deux sociétés se rendent coup pour coup. Nintendo inonde la grande distribution de vitrines remplies de jeu ? SEGA fera pareil pour Noël 1992 avec 3000 vitrines bleues. En 1992, la Master System n’est plus seule dans son duel avec la NES : la Game Gear s’oppose au Game Boy et surtout la Megadrive à la Super Nintendo. Logiquement, alors que les premières vitrines Nintendo ne proposaient que des jeux NES, les vitrines SEGA proposeront des jeux pour les trois supports. Fait étonnant alors que les boîtes Master System et Megadrive sont solides – comparables à des boîtes de VHS avec un support intégré pour la suspension en vitrine – SEGA décidera de les habiller d’un blister rigide avec support carton et ouverture au dos; très probablement pour concurrencer Nintendo sur son propre terrain.

Si SEGA attribue à chacune de ses consoles une livrée différente – ne conservant comme point commune que le quadrillage typique – Nintendo propose un habillage rouge et blanc identique pour ses trois consoles. C’est le début des années 90, les constructeurs sont encore sage : tout va changer avec l’ère des blisters qui s’annonce !

A chacun le sien

Nintendo trouve vite une nouvelle utilité pour ses blisters et y glisse dès 1992 son guide des jeux. Ce blister grand format est également utilisé à plusieurs reprise pour accompagner certains grands titres de la SNIN de guides stratégiques (Secret of Evermore, Illusion of Time et Super Metroid pour les plus connus). Big N se permet même un peu de fantaisie pour mettre en avant Killer Instinct sur Game Boy ! Et visiblement – même si ça ne rappelle absolument rien au vieux Bob – même des Game & Watch auront servi à rentabiliser les machines de thermoformage…

Guide Nintendo 1992 (recto)
Guide Nintendo 1992 (verso)
Secret of Evermore sous blister
Killer Instinct GB sous blister
Game & Watch Zelda (recto)
Game & Watch Zelda (verso)

Si Nintendo essaie de conserver un visuel commun pour ses blisters, ce n’est absolument pas le cas pour Sega qui, passé sa ligne initiale, laisse les éditeurs faire un peu ce qu’ils veulent, rendant la collectionnite de blisters Sega assez complexe ! Rajoutons à cela que les boîtiers Saturn – la 32 bits de Sega sensée faire oublier la SNIN – ne sont pas uniformes eux non plus, et que Sega lance sur le marché le Mega CD et la 32X – deux extensions pour la Megadrive – et tous les ingrédients sont réunis pour proposer du blister rigide avec plein de formes et de couleurs différentes ! Petit florilège.

Mais il n’y a pas que Nintendo et Sega dans la vie ! Même si le marché est confisqué par les deux frères ennemis, d’autres sociétés proposent du jeu vidéo. Mais proposent-elles du blister ? Question – et situation – difficiles pour Atari, le leader déchu. Vendre ses jeux sous blister, c’est devenir suiveur. Se passer de blister, c’est risquer de ne pas être dans le coup. Atari vendra donc ses jeux Lynx sous blister (rigide, donc) et ses jeux Jaguar sous film plastique. Les deux consoles se vautreront, preuve que l’habit ne fait pas le moine !

Si les copies chinoises (Supervision et Game Master) proposent leurs cartouches sous blister (et sans boîte ! Le blister rigide fait alors office d’emballage primaire et secondaire…), ce n’est pas le cas de Philips et Panasonic qui visent un public adulte et doivent donc se débarrasser de l’image « jouet » qui colle à la peau des jeux vidéo au mitan des années 90, image accentuée par le blister rigide : le CDi et la 3DO auront donc un habillage en film plastique, à l’image de ce qui se fait pour les CD et autres K7 audio. Image plus adulte, peut-être, succès commercial, pas du tout !

Reste le cas de la Neo Geo. Cette console a toujours été à part. Notamment, son (relatif) échec commercial n’est pas la sanction d’un manque de qualité du catalogue, mais le résultat logique de la nature fondamentalement élitiste de la proposition : avec le nec plus ultra technologique de son époque – un système d’arcade à la maison – SNK a fait le pari de s’adresser aux jeunes adultes. La Neo Geo AES (équivalent console de salon du système d’arcade Neo Geo MVS) bénéficiera d’une belle renommée et se vendra bien au sein du public visé, sans jamais se départir de son aura d’inaccessibilité. L’aspect qualitatif de la Neo Geo se retrouve dans les boîtes de ses jeux, de gros coffrets en plastique dur qui ne semblent pas avoir besoin de protection. Alors, dans ce cas, blister ? Honnêtement, je n’ai jamais vu de jeu Neo Geo en vente à l’époque, car la belle ne se trouvait que dans des boutiques spécialisées et pas en supermarché entre le rayon presse et le rayon jouet. J’ai certes trouvé quelques images de jeux Neo Geo en blister, mais les collectionneurs qui suivent cette console semblent partagés sur le sujet : blister original, initiative d’un magasin ou faux ? Personnellement, le jeu (interstice) existant entre la boîte et le blister me font penser à une mise sous blister chez le revendeur, mais je n’en ai aucune preuve…

La fin des blisters

Le Gamars PSX-003, lecteur de video-CD pour PSX

Au milieu des années 90, après près d’une décennie de domination sans partage de Nintendo et Sega et des blisters (rigides pour rappel), le jeu vidéo s’apprête à entrer dans une nouvelle ère avec l’arrivée d’un petit nouveau : Sony. Avec sa PlayStation (1994 au Japon, 1995 dans le reste du monde), le constructeur japonais, prétendant éconduit de Nintendo, change les règles du jeu : support moderne et ouvert (le CD-Rom), console multimédia (avec lecture de video-CD), contenu pour jeunes adultes… La PSX a été développée par un des leaders de l’électronique grand public, qui avait déjà révolutionné le monde de la musique avec le Walkman, et elle marque l’entrée du jeu vidéo dans l’âge adulte. Fini les rayons jouets, le jeu vidéo ambitionne désormais de côtoyer magnétoscopes et écrans à tubes cathodiques ! Dès lors, sa présentation au public change, et le blister devient petit à petit has been.

Pour être tout à fait honnête, cette volonté de changement intervient au moment ou la grande distribution est contrainte de développer son arsenal pour lutter contre la démarque inconnue (doux euphémisme pour désigner le vol en grande surface qui explose depuis le début des années 90). C’est ainsi que les boîtiers antivols apparaissent, et viennent naturellement accueillir les jeux PlayStation puis Dreamcast.

Attention toutefois ! Si le boîtier antivol vient remplacer le blister rigide, il ne remplace pas pour autant l’emballage secondaire; le blister « souple » (l’emballage plastique simple) signe dès lors son grand retour. Signe du progrès, il arborera désormais souvent une languette d’ouverture au logo du constructeur, qui sert autant à ouvrir le blister qu’à l’authentifier et garantir que le produit est neuf (la languette à logo étant impossible à reproduire artisanalement en cas de « remballe » d’un produit d’occasion). Et tout ceci alors que les emballages primaires deviennent rigides car renfermant désormais un disque optique…

Et Nintendo dans tout ça ? Le constructeur nippon a, pour ainsi dire, la tête ailleurs : il ne triomphe de son adversaire historique (SEGA dont la Dreamcast sera la dernière console, même si la société est promise a un bel avenir en tant qu’éditeur) que pour subir le retour de bâton de Sony, éconduit quelques années plus tôt. Tandis que la Nintendo 64 se fait attendre, Nintendo Europe reprend assez brutalement le contrôle de la distribution : exit Bandai et Stock Services, et avec cette dernière les fameuses machines de thermoformage. Nintendo reste malgré tout attaché aux cartouches, et donc aux emballages primaires en carton qui nécessitent un blister rigide : les jeux N64 et Game Boy Color (console développée en urgence et « à l’arrache » pour contrer la WonderSwan) seront distribués dans des blisters rigides, avec une nouvelle livrée bleue et jaune que je n’ai jamais vraiment apprécié. Question de goût peut-être…

De goût, ou bien est-ce que le blister rigide est désormais has been ? Les dernières années du 20ème millénaire ne sont pas simples à gérer pour Nintendo, qui se retrouve dans une position défensive, à essayer de contrer comme elle peut la percée de Sony. Premièrement, la firme doit assouplir assez fortement les conditions de publication sur ses consoles : elle ne maîtrise dès lors plus la distribution, et les éditeurs tiers utilisent des blisters neutres ou à leur enseigne, comme ce qui se faisait pour la Megadrive.

Mais le blister souple n’est plus dans le coup; à part pour la Nintendo 64, il ne sert plus qu’à emballer des jeux de seconde zone ou des rééditions dans des gammes « budget » de succès déjà dépassés. De mémoire, les jeux PSX ou DC sous blisters rigides (qui le sont d’ailleurs de moins en moins, le plastique utilisé trahissant le côté discount du produit proposé) se vendaient chez les marchands de journaux ou dans les solderies. D’icône de la pop-culture vidéoludique française, le blister (semi-)rigide devient l’emballage des jeux-poubelles. Preuve de ce changement inéluctable, les jeux Game Boy Color finiront par être présentés dans des boîtes antivol (et même si je n’ai rien trouvé sur Internet, je suis à peu près certain que les jeux Nintendo 64 proposés en supermarché étaient eux aussi présentés dans des boîtes antivol génériques. Mais peut-être que la sénilité est déjà là !).

La fin de l’exception culturelle

On l’a vu, l’histoire du blister rigide dans le jeu vidéo français, si elle demeure assez unique, est directement liée au développement du marché vidéoludique et de ses canaux de distribution. Au début des années 2000 cependant, la petite exception française prend définitivement fin, ce qui clos une période de dix ans environ. En réalité, c’est le marché des jeux vidéo qui se normalise au niveau mondial : le jeu vidéo est désormais un bien culturel qui adopte le format DVD pour ses boîtiers (il est vrai que Nintendo y enferme un format propriétaire et qu’il peut se permettre de conserver un emballage carton de format différent, au Japon uniquement). Même le PC troque ses imposantes (et magnifiques) boîtes en carton (« big box » dans le jargon des collectionneurs) pour le boîtier format DVD qui se retrouvera dans son boîtier antivol. Le mode de présentation au consommateur – y compris chez les détaillants qui disparaissent les uns après les autres en ce début de millénaire – est désormais standardisé : disque optique dans un boîtier plastique emballé dans un plastique souple à languette d’ouverture (souvent à logo), placé dans un boîtier antivol arborant normalement mais pas obligatoirement le logotype de la console concernée. Et qui fabrique ces boîtiers ? Tout simplement des entreprises spécialisées dans les dispositifs antivols !

Le début de la fin de l’édition physique ?

Au moment d’atteindre la fin de ce petit voyage dans le temps, et pour reprendre le principe de la rédaction de lycéen initié en ouverture, il convient – pour conclure donc ! – de se demander quel enseignement tirer de ce petit historique. Même si je suis opposé à la spéculation concernant de simples emballages industriels, je dois reconnaître que les blisters rigides des années 90 sont de véritables madeleines de Proust, qui renvoient directement à une époque ou l’ « objet » jeu vidéo comptait autant sinon plus que le jeu lui-même : le plaisir d’imaginer le jeu sur la base les magnifiques (et totalement mensongères) illustrations de jaquettes, l’excitation de regarder le détaillant découper le fameux blister, l’extase de lire le manuel dans la voiture en rentrant du magasin… Pour le gamin qui côtoyait les 8 et 16 bits, l’acquisition d’un nouveau jeu enclenchait tout un rituel qui lui rappelait la valeur du bien obtenu.

Avec la standardisation de la distribution mais également le désintérêt par les éditeurs pour le « packaging » dans son ensemble (qui a commencé par la disparition des illustrations de jaquettes au profit de photographies ou de reproduction de modèles du jeu et s’est poursuivie par la disparition des manuels), le jeu vidéo a perdu une grande partie de sa valeur en tant qu’objet, pour ne devenir qu’un programme interchangeable. C’était probablement là le premier pas vers la dématérialisation que je conspue dès que j’en ai l’occasion sur ce site. Car la dématérialisation, ce n’est pas seulement l’élimination des revendeurs et donc d’importants points de sociabilité dans un microcosme qui en manque souvent, mais c’est surtout très vite, et on le voit bien avec l’émergence du « Game As A Service » et des abonnements, la dépossession du consommateur, qui est réduit à un rôle de simple utilisateur. Je reviendrai un de ces jours sur les raisons pour lesquelles je m’oppose à la dématérialisation, sans pouvoir l’arrêter malheureusement. Mais pour conclure, je remarquerai tout simplement que la production de N64, dernière console de l’ancien modèle de distribution, s’est arrêtée en 2002 tandis qu’en 2003, Valve lançait la première version de Steam.

Bob Dupneu

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